Les puissances d’argent du statu quo — le fric, les cabinets d’avocats et les cabinets comptables, les CA des banques et des grandes entreprises, qui se scandaliseraient si peu d’un petit compte bancaire à la dérobée, pour le nouveau premier ministre, quel qu’il soit, pourvu qu’il ne soit pas péquiste, ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.
Et la plupart des tuteurs traditionnels de notre peuple — les entreprises de presse, et plus encore, ces nouveaux prêtres que sont les journalistes, qui discourent et moralisent, qui veillent à la rectitude de l’État, à la platitude de ses politiques, à la honte du soi collectif si savamment entretenue par une certaine gauche qui dicte la pensée convenable, tout en se drapant d’un supposé dieu de la révolution, soutenu avec les arguments mêmes du néolibéralisme, — ces curateurs de notre peuple ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.
Bien sûr, les médiocres, à la pensée courte, qui se vautrent depuis toujours dans la vulgarité, l’insulte et le mépris, ceux-là réclameront la victoire libérale et la belle performance de la CAQ comme étant les leurs: ce sont eux, les premiers, qui ont hurlé de rire et de condescendance parce que la première ministre Marois, — Pauline, Popo, la reine Marois, — parlait mal l’anglais, alors que pour cette fange, la valeur première, bien sûr, est de parler la langue du dominant sans accent.
Tous ces notables de droite et de gauche, populistes, installés, dédaigneux de ce petit peuple facilement raciste si on le laisse s’égarer, tous ces gens qui «savent», ont obtenu la réaction qu’ils espéraient, le recul vers le PLQ, plutôt qu’un changement vers la modernité et vers l’audace, pour lequel Mme Marois et son équipe ont travaillé comme jamais, pour ce progressisme réaliste, et surtout, pour cette Charte de la laïcité, qui allait ouvrir un espace de liberté et d’égalité totalement inédit dans notre société.
Cette défaite n’a aucunement l’air d’une victoire, pas même morale; c’est une invitation à rester chez soi; c’est avoir peur des meilleurs d’entre nous, peur sciemment entretenue, qui a profondément colonisé notre culture collective depuis très, très longtemps; mais c’est aussi une incitation à jouir de la vie, à n’espérer la richesse que pour soi. Ce qui a gagné ce soir, c’est le Canada, et c’est la «suprématie de Dieu». Ce ne sont ni mon pays ni mes convictions. C’est l’impuissance, et c’est le ridicule qui humilie et qui tue.
P.-S. (1) Je me suis inspiré, pour la colère et pour le rythme, des tout premiers mots de la déclaration de René Lévesque, en avril 1970, après la lourde défaite électorale de son parti. Ces mots avaient été repris dans le manifeste du Front de libération du Québec, en octobre 1970.
P.-S. (2) Pour mes lecteurs français, il faut savoir qu’aux élections générales du 7 avril 2014, le gouvernement souverainiste du Parti québécois, de centre-gauche, a subi une lourde défaite, y compris pour la première ministre elle-même, battue dans sa propre circonscription électorale. Cette défaite était prévisible, non pas tant de par les erreurs du gouvernement, que par la volonté délibérée (voulue, souhaitée, et qui sera célébrée) de défaire ce gouvernement aux urnes, et de se débarrasser des éléments de modernité et de solidarité de son programme. Autrement dit, le Québec vient d’être traversé par une vague de droite que la France, je crois, connait bien.
N.B:
Ce texte, vibrant, bouleversant, vaut la lecture:
http://exilinterieur.blogspot.ca/2014/04/merci-madame-marois.html
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Ce texte, vibrant, bouleversant, vaut la lecture:
http://exilinterieur.blogspot.ca/2014/04/merci-madame-marois.html
4 commentaires:
Moi aussi le coeur en lambeaux et incapable de dormir j'ai écrit sur ma page. Mais rien avoir avec la beauté de ton style et la justesse de ton propos.
Douce fin de nuit Richard xx
Ps je me promets de ne plus jamais mêler mes émotions à la politique. C'est peine perdue il y a trop d'hommerie.
Je viens de lire ton commentaire. Bouleversant...
Merci, Jocelyne.
Merci Richard, du courage que tu as d'écrire encore, si tôt après le crachat au visage, de façon aussi sereine, aussi digne.
Je voulais écrire quelques lignes en commentaire qui s'est allongé, trop allongé pour le publier ici. Je l'ai donc publié sur mon blogue. Merci de m'en avoir fourni l'occasion et le courage.
Je m'empresse d'aller te lire. Merci !
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