dimanche 27 mai 2012

LA MÉMOIRE TRAHIE DE TYLER CLEMENTI


Pont George-Washington, NY. Source: http://www.journeyetc.com/travel-ideas/best-bridges-on-the-pages-of-the-record-books/



J’étais en vacances, au loin, pendant qu’un tribunal américain mettait fin, par le prononcé de la sentence, au procès de Dharun Ravi, accusé d’actes d’intimidation exercés à l’encontre de Tyler Clementi, 18 ans. Le jeune homme avait trouvé le piège, l’humiliation, la rigolade cynique délibérément planifiée contre sa personne, le viol de son intégrité et, surtout, le mépris de son orientation sexuelle, tellement insupportables qu’il s’est suicidé en se jetant, de honte, du pont George-Washington, à New York. L’horreur absolue. Tyler Clementi a laissé une lettre, s’est expliqué, a dénoncé ; il a fait le sacrifice de lui-même, qu’il a spectaculairement théâtralisé, pour que le message porte, loin, longtemps. Sa souffrance était intolérable.

Et quelle est la punition infligée à Dharum Ravi, qui ne s’est jamais, jamais excusé, qui n’a jamais, jamais dit regretter ? Trente jours de prison, quelques centaines d’heures de travaux communautaires. Et pourquoi une peine si dérisoire ? Parce que le tribunal ne jugeait que de l’intimidation, et non de la conséquence tragique qu’elle a entraînée. Le suicide de Tyler Clementi, je vous le rappelle, est indissociable de son homosexualité, de sorte que son orientation sexuelle est évidemment au cœur de l’affaire, aggravée par le viol de son intimité, filmée, dévoilée à un jeune public qui en a cruellement redemandé. Et pourtant, Ravi n’aura que trente jours de placard, pour crime d’intimidation, pas même pour crime haineux. Le président Obama a pourtant vu l’affaire comme un exemple parfaitement évident — affreusement édifiant — de haine homophobe. J’écoutais la télé, sur CNN, un reportage où on parlait de la sentence, et j’étais renversé, humilié, très en colère au vu et au su de la sanction, qu’une commentatrice évaporée trouvait très bien. Mon copain m’a entendu prononcer quelques gros mots, à l’encontre d’une justice absurde, qui s’aveugle consciemment, volontairement, malgré le sermon apparemment dur et tranchant du juge, prononcé que pour épater la galerie.

Faut-il, si un automobiliste ivre tue un jeune homme gay ( ou n’importe qui d’autre, un Noir, ou un itinérant, ou un malade mental, enfin, vous voyez, une personne d’une de ces minorités pour lesquelles on a le respect collectif si vacillant, ) distinguer l’ivresse au volant de sa conséquence ? Faut-il encore considérer les hommes ( et les femmes ) gays comme des sous-humains, au point de ne juger leur suicide que comme anecdotiques, conséquence malheureuse, mais marginale, du réel problème, du vrai crime celui-là, celui de l’intimidation, perpétrée par un jeune imbécile, Dharum Ravi, qui n’avait rien d’autre à faire que de perdre son temps à s’amuser aux dépens d’une tapette ? Et tiens, à propos, combien de temps, au juste, imposait-on aux Blancs qui intimidaient, jusqu’à les tuer, les Noirs américains dans les années 50, dans cette admirable démocratie morale et chrétienne que sont les États-Unis d’Amérique ?

Violé, méprisé, révélé malgré lui, Tyler Clementi s’est suicidé. Il est mort. Mort. Mais la parodie de justice qui a réglé le sort de son tortionnaire a trahi sa mémoire. Nous serons nombreux, je l’espère, à ne jamais l’oublier.



Post-Scriptum : Le 19 juin 2012, Dharum Ravi a été libéré de prison, après y avoir purgé seulement 20 jours de sa peine... de 30 jours. Il s'est bien conduit, il a travaillé, bref, on lui a donné son congé. Voilà ce qu'il en coûte de violer, de VIOLER l'intimité d'un jeune homme homosexuel, et de l'avoir poussé à la mort. J'ai honte. À l'instant présent où j'écris ces lignes, je déteste l'humanité tout entière, le mépris dans lequel elle nous tient, et sa prétendue normalité.
Source: http://www.huffingtonpost.com/2012/06/19/dharun-ravis-release-jail-served-20-days_n_1608329.html









2 commentaires:

Anonyme a dit…

Les trois métamorphoses
Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.

Richard Patry a dit…

Faudrait-il revoir cette métaphore, pour comprendre la mort tragique de Tyler Clementi ?