20 mai 1980: c'en était fait.
Le
2 mai 2011, les électeurs québécois ont rejeté une équipe parlementaire qui
n'avait pas démérité, et qui avait au cœur même de son existence de faciliter,
un jour, l'accès du Québec à son indépendance, quand en viendrait le temps - comme
le temps de la République était finalement arrivé pour les Irlandais, divisés, hésitants
à n’en plus finir, longtemps dominés, aliénés, et presque assimilés. Désirant clairement le choix qu'il faisait, le peuple québécois a dans
les faits rejeté son indépendance, et a mis fin, définitivement, au rêve
difficile et douloureux, souvent refoulé, de son émancipation collective, de sa
maturité enfin assumée, avec risques et périls, avec gauche et droite, avec
connaissance et présence dans le monde, comme pour tout autre peuple libre de son
destin.
Claude
Ryan avait dit un jour la nécessité historique, inévitable, qu'une des deux
options, fédéraliste ou souverainiste, disparaisse complètement. Au lendemain
du 2 mai, c’était chose faite, désormais. Le Bloc québécois anéanti, le
choc a été énorme. La tourmente a failli emporter le Parti québécois, hébété,
déchiré entre ceux qui ont voulu sauver l'option à tout prix, et ceux qui ont
voulu coûte que coûte sauver le parti de gouvernement, qui a rendu de grands
services, ceux mêmes qui croyaient, encore, que le pouvoir provincial exercé
par des souverainistes augmentait la confiance en nous des Québécois. Des souverainistes, proches d'Option Québec, publié en 1968, ont
critiqué l'origine même de l'impasse, voire de l'impuissance nationale, dans
cette démarche référendaire destinée à toujours échouer, victime de
modifications démographiques de plus en plus rapides, ce pendant que le vote
des jeunes désertait la cause, s'abstenait de plus en plus massivement. Des
souverainistes restés attachés au parti, fidèles à l'idée lévesquiste qu'un bon
gouvernement, nationaliste, social-démocrate, pouvait préparer l’indépendance
par la gouvernance souverainiste, en attendant un possible référendum gagnant,
sont restés fidèles à l'idée d'une élection provinciale victorieuse, malgré
l'effroyable déroute du Bloc québécois au 2 mai 2011. Et pourtant l'option est
bien morte, aussi irréversiblement que M. Lévesque l'avait cru « irréversible »,
dans son fameux discours, excellent, essentiel, inutile, et qu’il a regretté, tenu
à l’Economic Club de New York, en
janvier 1977. L’option est morte depuis longtemps. Elle survivait comme un
fantasme masquant l’humiliation à renoncer; le 2 mai, elle a été une fois pour
toutes liquidée, enterrée.
J’en
ai mal au cœur, encore, parce que j’ai toujours cru l’indépendance du Québec impérative,
urgente et nécessaire. Fragmenté, centré sur la langue, le drapeau, les grands
mythes historiques, les statues de présumés grands personnages de notre
histoire, le nationalisme québécois me touche peu, m’embarrasse souvent, comme
me désarçonnait déjà la gêne de M. Lévesque de faire adopter la Loi 101. Nos
compatriotes anglo-québécois ne s’embarrassent pourtant pas d’être unanimes, à
peu d’électeurs près, quand il s’agit de rejeter le Québec pays, le Québec
français, le Québec national ; ils n’ont aucune réserve à s’appuyer sur
les instruments législatifs, et constitutionnels, qu’ils se sont donnés, depuis
1867, plus encore depuis 1982, pour assurer l’épanouissement de leur collectivité.
Ils exigent qu’on leur parle dans leur langue. Ils exigent qu’on leur donne
leurs villes, leurs institutions scolaires, la libre disposition de leurs
revenus communautaires, le libre usage de la Charte fédérale des droits et
libertés. Ils exigent une identité séparée, et menacent même, si jamais
l’indépendance devait se réaliser, de partitionner le Québec, comme l’Irlande a
dû se laisser déchirer, un séparatisme payé très cher. Ils sont sans gêne et
conscients, ce qui nous manque, à nous francophones, souverainement. J’ai cru à la nécessité, oui, de l’indépendance du
Québec, comme à un acte de libération essentielle, qui donnerait, par exemple,
aux étudiants la capacité de surmonter l’envie du décrochage scolaire, ce désir
qu’ils ont, puissant, aujourd’hui irrationnel, de la fuite dans un
misérabilisme toujours vivace parce qu’il a un sens, parce qu’il masque une
autre liberté, désirée, passionnante, celle du pauvre, du squatter, de
l’errant, du modeste, qui se croit libre parce qu’il a l’espace pour lui, et
peu de besoins à combler. Tout cela n’est pas du gauchisme, pas même un
penchant pour l’anarchisme, c’est de la dérobade. C’est notre communautarisme à
nous, une aliénation terrible, une peur tenace que ça change, et que la liberté
dont parlait M. Lévesque, mieux encore M. Parizeau, ne soit plus la liberté de
faire ce que l’on veut, sans qu’on nous bâdre avec le souci des autres, avec
l’effort, avec la culture, avec la connaissance, avec le changement. Un livre
magnifique, paru il y a quelques années, Québec,
quatre siècles d’une capitale, l’œuvre entre autres de l’historien Gilles
Gallichan, faisait en réalité l’histoire d’une capitale en perte de continuité,
constamment ravagée et refaite, sans souvenirs persistants, le lieu d’une
singerie caricaturale du pouvoir des Anglais d’Angleterre, arrivés ici à force
d’armées conquérantes, capitale incurablement provinciale qui se donne, sans
rire du tout, un titre, un trône, des costumes brillants, des habitudes bien
élevées, une sagesse de colonisés parfaitement affligeante… Qu’importe aux
Québécois cette parade ridicule, pourvu qu’on les laisse en paix. Le vernis du colonisé
est solide et brillant ; mais sous la couche épaisse et résistante de la
petite bourgeoisie, il y a un peuple qui a tout encaissé, mépris, exploitation,
tromperie, et qui ne sent de survie que dans sa liberté d’être, immédiate,
protégée par l’ignorance des défis inévitables, soulagée par le rire gras,
rêvant qu’un jour il y aura pour lui aussi commerces prospères et beaux
quartiers. Le pays, dans ce contexte, est pour le moins lointain, et nébuleux…
L’indépendance
n’est pas une fin en soi ; mais elle est, j’y ai cru, un bien en soi. Je
trouve ça triste, et désolant, qu’on y ait renoncé, mais c’est un fait. Le déni
là-dessus est tellement puissant que lorsque je suppose la fin du rêve, preuves
à l’appui, j’en perds des amis. Et pourtant, j’en ai assez de m’illusionner. Ça
m’épate de voir Léo Bureau-Blouin s’engager, et Jean-François Lisée, et Maka
Kotto, et Jean-Martin Aussant, lui autrement, d’un sans-gêne à priori
emballant, et même Françoise David, sans qu’elle semble vraiment y croire, au
pays, comme d’une nécessité absolue, de toute première importance. Je les
admire, je le jure, et combien d’autres. Mais je refuse qu’ils m’emportent
désormais dans la calamité, et la consternation, à répétition. Comment
raconterons-nous donc notre histoire nationale, dans cinquante ans, dans cent
ans, déjà que ce n’est pas simple d’expliquer à des étudiants à qui il faut
faire aimer l’Histoire, imaginez, que nous provenons d’une colonisation ratée,
d’une conquête, d’une révolte échouée en plein hiver, d’un asservissement, et
d’un long, d’un très long mépris.
Je
ne voterai donc plus, plus jamais, à l’exception d’une élection référendaire,
ou d’un référendum sur la souveraineté ; alors, là, oui, j’irai voter. Mais
il n’y aura ni de ce jour improbable, ni d’une victoire impossible, et je ne
voterai donc plus. La polarisation nouvelle entre la droite et la gauche montre
bien que l’autre projet a été trop
long à se réaliser, qu’il ne se réalisera jamais : l’illusion du pays
s'incarne en ce moment avant l’indépendance réelle, et c’est de projet de
société dont on parle désormais. Ce nouveau clivage est la plus belle preuve
que la question de la souveraineté est tranchée. M. Legault, tout comme Mme
David, qui tous deux en ont gros contre le Parti québécois, sont les naufrageurs
ultimes de la souveraineté, au bénéfice d’une gauche ou d’une droite provinciale, de parenté évidente avec
des partis fédéraux, le NPD ou le parti conservateur. Au reste, Québec
Solidaire se dit souverainiste parce que l'écrasante majorité des personnes de
gauche le sont. Cela changerait ( et cela changera, ) que QS changera d'option
constitutionnelle, je parie fort là-dessus.
Ce
printemps, le mouvement étudiant a été remarquable, l’argumentaire, impeccable.
La Révolution tranquille n’a pas été complètement inutile ! Mais le
mouvement étudiant n’était pas toute la jeunesse, et certainement pas les
décrocheurs, ni ceux, excusez l’expression, qui
s’en crissent ; il n’incarnait pas non plus le peuple québécois dans
toute l’épaisseur de son existence historique, bien loin de là. Il aurait pu
cependant nous faire croire que la société québécoise avait réellement changé,
et qu’elle avait désormais de nouveaux idéaux démocratiques. À ceux et celles
qui pourraient l’espérer, allez lire ce qui s’écrit dans les médias sociaux,
allez suivre sur Twitter la campagne
électorale en cours : rien n’a changé, la partisanerie reste aveugle,
agressive, et de mauvaise foi ; la gauche pratique la vieille politique du
discrédit des personnes comme une pro de droite radoteuse et sénile. Voter,
dit-on souvent, est un devoir ; il m’arrive de penser, c’en est même une
conviction profonde, qu’il faudrait un code de déontologie de l’électeur, une
éthique de l’électeur, une exigence démocratique de l’électeur, avant de
pouvoir même voter. Pour devenir citoyens, on vérifie que le candidat a quelques
connaissances de base sur le pays qui l’accueille. Ça me fait fantasmer, pour
tout dire, qu’on exige la même chose de chaque électeur, avant même de réformer
les mœurs électorales, ou le système lui-même. La démocratie ne s’en porterait
que mieux. En attendant, c’est le suffrage universel lui-même qui me laisse
froid.
À
défaut d’indépendance, peut-être faut-il, comme on dit, commencer par le
commencement, et nous mériter notre propre démocratie. Une véritable
démocratie, qui sorte du parlement, même réformé, et qui s’impose dans tous les
lieux de travail, où l’autoritarisme reste encore la norme, telle qu’elle l’était
au 19e siècle, exception faite des balbutiements du syndicalisme – de toute façon écrasé dans le sang. C’est
fou ce qu’un cadre peut se croire seigneur féodal, au milieu de ses vassaux, ce
qu’un patron d’entreprise peut se croire monarque absolu, gérant selon son bon
plaisir. Mais pour ce faire, éliminons le système actuel, la corruption
actuelle, la mesquinerie actuelle, en refusant d’aller voter, en masse. Il
faudrait être en si grand nombre que le poids écrasant des abstentionnistes discrédite
le système lui-même, et ses électeurs fanatiques, gavés d’images, heureux
d’être si grossièrement désinformés. Et peut-être, peut-être arriverons-nous à
passer d’une liberté à l’autre, de l’inconscience indocile et sarcastique à la
liberté publique, collective et juste, parce que corrigeant ce que l’Histoire
aura fait de nous.
J’aime
les Québécois. J’aime le Québec. Mais le 4 septembre prochain, je n’irai pas
voter.
4 commentaires:
Bien tristes tous ces constats et pourtant, si on ne participe pas, on encourage et on fait le jeu de ceux qui trinquent dans les coins en célébrant l'inavouable, comme Jean Charest et Paul Desmarais feront sans doute à Sagard si le PLQ est réélu. Même si nos comportements électoraux reflètent notre aliénation et notre colonialisme (je suis bien d'accord là-dessus), je demeure partisan de la politique du moins pire. Ton texte me rappelle le message du film de Arcand Le confort et l'indifférence. Mon vote ne pèsera pas bien lourd le 4 septembre, mais j'y tiens, c'est la seule prise qu'il nous reste sur le système et qui sait si un jour les choses n'allaient pas changer... Après tout, il y a eu 1960, 1962 et 1976 qui ont fait bouger des choses, mais c'est vrai que le chemin est encore long, décourageant, souvent affligeant et comme dit la chanson de Raymond Lévesque, quand la lutte sera finie sans doute serons-nous morts, mon frère. C'est comme si, comme ceux de 1836-1838, on avait cru apercevoir la terre promise. Mais, je me dis - comme un vieux proverbe - que le désespoir est une insulte faite à l'avenir et je crois encore bien naïvement à des lendemains qui chantent. J'irai donc voter le 4 septembre pour tenter, sans trop y croire, de faire, ensemble, un autre pas en avant. ;-)
À suivre.
Belle réponse, qui me tente... Et puis non, à d'autres, et comme tu le dis, à suivre ;-)
Dommage que ton geste politique, ta décision réfléchie de ne pas voter, aille se perdre dans le pourcentage des électeurs qui ne votent pas par indifférence ou par paresse...
Personnellement, pour être certaine que mon choix soit entendu ou reconnu, je crois qu'il est tout de même plus efficace de me déplacer et de faire un gros barbeau sur mon bulletin de vote: veni, vidi et... Allez tous paître! Aucun d'entre vous ne mérite mon appui! J'accepte de jouer le jeu, je participe, mais j'en ai vraiment marre de la triche!
Je comprends bien, toutefois, que tu veuilles même plus jouer...
Non, je ne veux plus jouer, parce que ce n'est plus du jeu ! ( Bon, j'admets que mot d'esprit est facile ! )
Les abstentionnistes sont comptabilisés: voilà pourquoi je veux m'abstenir, et non barbouiller mon bulletin de vote.
Merci, Maryse, d'avoir eu la gentillesse
de commenter directement sur mon blogue !
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