vendredi 15 juin 2012

CONTRE LA CENSURE


Pastiche d'une toile célèbre de Delacroix: l'image ornait la cuisine de M. Amir Khadir, et le Journal de Québec, vrai Tartuffe, a fait de cette chose privée un scandale médiatique excité...



Tout le monde connaît maintenant – au Québec, tout au moins - le groupe musical ( anarchiste, dit-il de lui-même… ) Mise en demeure. Le premier ministre du Québec lui a donné ce matin un rayonnement particulier, en condamnant la présence du groupe aux festivités ( parallèles ) de la fête nationale du Québec, le 24 juin qui vient. Au motif du blâme, des paroles d’une de leurs chansons où ça dit : « Ah vous dirais-je, scie à chaîne, m'as te présenter Courchesne.* [...] M'as te la geler, ce sera pas ben long, d'un coup de masse dret à dret du front. » Ça s’entend sur l’air de la comptine Ah vous dirais-je maman… La discordance paroles et musique fait de l’effet. On steppe. Le propos n’est ni docile, ni gentil. Il faut y entendre de la poésie, semble-t-il. Ce lyrisme surréaliste, symboliste, épais comme un discours de taverne qui gueule, impuissant, qu’on va les lui casser, ses deux jambes, au patron qui force les piquets de grève, me rappelle les excès de langage violents d’André Arthur et autres animateurs répugnants de la radio poubelle. Il y a eu parfois procès contre ces apologistes d’une droite qui a fait sa notoriété quotidienne des ordures qu’elle renifle à plein nez. Arthur a été souvent condamné en Cour pour ses propos. Fillion aussi. On peut pourtant les entendre encore, même qu’Arthur a trouvé suffisamment de cons pour se faire élire, deux fois plutôt qu’une, au Parlement fédéral. À l’opposé de la liberté de parole des salauds, que personne n’a jamais osé censurer, Mise en demeure a rapidement cédé à la censure ; et décidé de ne pas participer aux festivités de la Fête nationale, à Québec. La « crise » déclenchée par le premier ministre, ( encore une ! ), n'aura duré que quelques heures. Personne, à Québec, pour faire une quelconque marche de la liberté, comme en 2004. La problématique soulevée par l'affaire est-elle pour autant terminée ? 

Eminem a été dénoncé pour ses aphorismes haineux, souvent homophobes, parfois sexistes, qu’il crachait dans certaines de ses chansons: « And I can't wait 'til I catch all you faggots in public I'ma love it.. (hahaha) » ( Il s'en est expliqué par après, a prétendu à une poésie inspirée de l’Américain moyen, imbécile et borné : on le croit ou pas, c'est selon... ) Il a été dénoncé ; mais il chante encore, partout, dans les galas les plus jet set. Il vend des millions d'albums. La haine est rapide à faire une belle carrière. Si le texte d'une chanson de Mise en demeure relève du Code criminel, la seule chose correcte à faire est d'engager une procédure judiciaire contre le groupe, au même titre que ce que fait le député de gauche Amir Khadir, qui songe, lui, à poursuivre le Journal de Québec pour diffamation – justement à cause d’une affiche du même groupe, Mise en demeure, qui plaisait dans le décor de la cuisine du député. M. Khadir n’a quand même pas demandé la fermeture du journal. Ce qui m'agace dans la déclaration de M. Charest, comme dans le questionnement du maire de Québec, c'est l'appel à la censure, c’est cette détermination à moraliser d'abord, à censurer par la suite : autrement dit, la répression bien réelle, l’usage d’une loi spéciale non écrite qui autoriserait à museler les mal élevés, surtout s'ils se disent « anarchistes ». En 1983, M. Lévesque n'a pas poursuivi, n'a même pas appelé à la censure quand la CSN l'a surnommé « Le boucher de New Carlisle », référence directe, violente et peu subtile au boucher nazi de Lyon, Claus Barbie. 

La censure m'exaspère. Elle ne cesse de menacer, toujours, la liberté d'expression elle-même. Elle est en soi un acte de violence publique, faisant partie essentielle de ce qu’on appelle, avec raison, la violence d’État. 

Le danger de la censure, c’est aussi le déchaînement d’un délire collectif, populaire, jamais très loin du bûcher vengeur. Le Théâtre du Nouveau-Monde a fait les frais, deux fois, de ce type de censure, en 1979 dans l'affaire « catholique » des Fées ont soif, en 2010 dans l'affaire Cantat. Peu importe le mobile, qu'il soit noble ( à l’exemple de l'affaire Cantat ) ou grotesque ( quand il fallait censurer une statue de la Vierge qui parlait ! ), la censure ne devrait jamais, jamais être un instrument politique légitime. M. Charest n'a pas tort quand il dit des personnalités politiques « qu'on a aussi nos familles ». Jun Lin, dépecé par on-sait-qui, avait lui aussi une famille, et des juristes l'ont rappelé à juste titre, sans appeler à la censure, mais plutôt à la retenue, et si possible, à l’intervention de la loi. Ce n'est pas la censure qui devrait protéger la famille de la ministre Courchesne, c'est la loi. Dans tous les cas, ce n'est jamais la censure qui devrait soutenir la dignité des personnes ou la hauteur d'une cause, mais la dénonciation des victimes d'abus, l'absence de public à un spectacle, et pourquoi pas le mépris. Quant à la loi, bien sûr, si nécessaire, quand la faute est incontestablement criminelle.

Nous sommes dans une époque qui flirte souvent avec la censure, proche parente du « politiquement correct ». En France, il s'en trouve pour vouloir censurer la Marseillaise, faut le faire ! Ceci étant, je crois, sans faire appel à quelque censure que ce soit, qu'une Fête nationale se doit être consensuelle. Décidant de s'abstenir d'y participer en tant qu'artistes, Mise en demeure a probablement pris la décision qui, hélas, s’imposait.


* Mme Courchesne est ministre de l'Éducation du Québec. Elle est donc au coeur de la tempête sociale qui secoue le Québec depuis quelques mois. C'est elle qui a piloté, à l'Assemblée nationale, la loi spéciale qui a restreint les libertés publiques au Québec.




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