Source: Photo - Le Devoir, Jacques Nadeau
Au point où en sont les choses politiques et sociales, au Québec ( crise majeure, je le spécifie pour mes amis lecteurs de l'étranger, provoquée par une très forte hausse des droits de scolarité, décidée et décrétée par le gouvernement du Québec, ) peut-être faudrait-il collectivement se rappeler quelques évidences incontournables.
1. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de révolution au Québec. La jeunesse a beau être nombreuse dans les rues, et aller à la casse avec un entrain qui laisse le téléspectateur sidéré, cette jeunesse que j'aime, à qui j'ai enseigné ( génération après génération ) toute ma vie, est isolée sur la grande question, la question essentielle qu'est le partage équitable de la richesse, quel que soit le processus pour y arriver, par exemple au moyen d'une justice fiscale rigoureuse. La jeunesse est isolée: elle n'a pas d'alliés sociaux qui l'appuient dans ce qui pourrait devenir une authentique poussée révolutionnaire. Les travailleurs cols bleus ou cols blancs, la classe moyenne inférieure, les retraités appauvris, année après année, par des rentes qui deviennent fragiles, ont souvent une empathie active sur Twitter pour la cause étudiante, mais certainement pas au point de provoquer une constellation de colères sociales, préalable à une authentique poussée révolutionnaire. La jeunesse elle-même est divisée sur la question du sens social à donner à son mouvement de contestation. La société québécoise n'est pas encore prête de changer là-dessus, tant s'en faut, et tranquille qu’elle est. Le patronat est solidaire, de tout temps, en toutes circonstances, sur ce sujet de l'ordre social, comme sur tous sujets d'ailleurs, avec le parti libéral du Québec, qui lui écarte la CLASSE parce que précisément, cette association étudiante prétend développer un projet social plus large que la cible unique de droits de scolarité accessibles au plus grand nombre. Quant à la police, elle fait son travail, « neutre », dit-elle, c'est-à-dire au service de l'État, qui lui est « bourgeois ». Ce ne sont pas là des considérations anciennes: c'est encore comme ça que les choses sont.
Il faut dire ces évidences, même désagréables à entendre, parce que le mouvement étudiant se dirige tout droit vers un cul-de-sac. Ça me désole. La cause est juste. J'y crois. Mais privilégiant la voie radicale, de l'affrontement dans les rues, du discours ultra à la télé ( que j'admire, bon dieu, Gabriel Nadeau-Dubois est à proprement parler admirable, ) et n'entendant rien, du moins en apparence, des gens de bien, qui cherchent une solution, une médiation, un report de la hausse, une alternative de négociation multipartite qui puisse remplacer le choix décrété par l'État, le mouvement étudiant laisse se préparer une répression, brutale, sans appel, qui lui tombera dessus, lui fera tout perdre, capital de sympathie, et validité de la cause, alors qu'il tient bon, après dix semaines, ce qui est proprement stupéfiant. Étudiants, ne parlez plus au gouvernement, ignorez-le; parlez aux autres, à celles et ceux, nombreux, encore influents, qui ont de la sympathie bien réelle pour les principes que vous défendez. Il faut imposer votre point de vue au gouvernement par le biais d'intermédiaires qui seuls, peuvent sauvegarder l'essentiel de votre combat. Sinon, cela risque fort d'être une grève perdue. Et tout cela sera long, très long à reprendre, et à réparer.
2. Il n'y a pas à douter que l'État, et le parti politique qui en dispose cherchent une voie de sortie, qui ne soit bénéfique que pour eux seuls. L’État ne peut songer, désormais, qu'à des moyens extrêmes pour mettre fin à la crise. Il y a des précédents, et ce serait là une erreur prodigieusement naïve que de penser que l'État ne considère pas ses pouvoirs de législateur. Je ne sais trop à quelle loi spéciale le gouvernement pourrait recourir, puisque la grève étudiante ne relève pas du Code du travail. Je ne sais pas davantage à quelle suspension de libertés civiles le parti libéral pourrait se laisser tenter. Mais si Monsieur René Lévesque lui-même a fini par approuver et cautionner la terrible Loi 111, en février 1983 ( loi condamnée d'abord par le Bureau international du travail, et par la suite par la Cour suprême du Canada, bien que dans ce dernier cas, la Cour ne se soit pas arrêtée au scandale social majeur qu'était la loi, mais plutôt à une formalité constitutionnelle, ) comment penser que Monsieur Charest aurait des scrupules, s'il estimait, lui, qu'il y avait urgence d’agir pour protéger les biens et la propriété ? Je ne suis rien, moi, ni vedette ni personne qui compte ( pas même sur Twitter ! ), je ne suis qu'un obscur professeur de cégep, comme on me l’a déjà dit, sourire en coin; et pourtant je supplie le gouvernement actuel de ne jamais, jamais franchir la ligne de l'interdit, de ne se laisser tenter par aucune mesure qui restreigne ou suspende les libertés civiles, et de laisser les mesures normales de justice suivre leurs cours — c'est le cas de le dire. Il faudrait, là-dessus, être nombreux, très nombreux à en appeler au gouvernement du Québec: il n'y a qu'un moyen, qu'un seul, pour l'amener à être raisonnable, et à discuter, y compris de ses ( mauvais ) choix politiques, et c'est de l'amener, d'avance, à renoncer à tout moyen législatif d'exception. J'appelle ( très humblement ! ) Monsieur Charest à faire une déclaration publique en ce sens. Il doit engager son gouvernement à l'encontre de ce risque, parce qu'en réaction à la violence de la rue, toutes les tentations sont possibles pour un gouvernement, et un parti, en désespoir de cause et de crédibilité.
Voilà.
Bonne chance aux étudiants, et à leurs leaders, qui ont ces jours-ci le dos large, mais les jambes solides. Ils sont beaux; ils sont admirables.
2 commentaires:
Juste constat. Et si désolant...
En effet...
( Quoique... )
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