jeudi 31 mars 2011

Olympiades, Paris, 1924



Vue aujourd’hui, sur Internet, cette affiche de Jean Droit, dessinée pour illustrer les Jeux olympiques de 1924, tenues pour la seconde fois à Paris. La guerre s’était achevée 6 ans auparavant. Les Allemands, tenus pour responsables du crime et de la catastrophe, avaient été mis au ban des nations, depuis le traité de Versailles de 1919, et ne pouvaient pas participer à ces Jeux. L’affiche de Jean Droit, qui a fait la guerre et l’a illustrée de manière remarquable, magnifie la désormais possible régénérescence de la nation française, la vigueur de sa jeunesse, rassemblant des jeunes hommes tous blancs, vêtus à l’antique, prêtant le serment olympique devant les trois couleurs nationales immensément déployées, le blason de Paris rappelant quand même la ville hôte des Jeux.

1924, année olympique, année de fierté nationale pour la France. Un an auparavant, Hitler avait tenté, et raté, un coup d’État à Munich, qui lui avait valu procès, emprisonnement et notoriété. C’est de sa prison que Hitler a pris conscience de l’importance déterminante d’une propagande réfléchie, scientifiquement conçue pour être efficace, reniant les individualités, fabriquée à coups de gestes théâtraux,  d’affiches provocatrices et séduisantes, volontairement sexuées, symboliquement chargées, évoquant la force de la masse dans une gestuelle unique, parlant le langage de tous parce que parlant à l’inconscient. Deux ans auparavant, Mussolini avait réussi la célèbre Marche sur Rome ( qu’il avait faite en train jusqu’aux faubourgs de la ville ! ), et l’Italie tombait sous la coupe d’un régime à la fois réducteur et séducteur,  revalorisant, par la force brutale des Chemises noires, une virilité mise en doute par les premiers mouvements féministes et l’entrée facile des femmes dans les usines, pendant la guerre. Les hommes avaient douté d’eux-mêmes. La guerre les avait temporairement refaits. Le fascisme allait les conforter d’autant mieux qu’il allait jouer, subtilement, sur l’attrait homosexuel, idéalisé, inavoué, toujours contenu, mais toujours suscité. 

Ce que j’ai écrit là est bien connu, très documenté. J’ignore si Jean Droit était homosexuel. J’ignore aussi s’il a éprouvé une certaine fascination pour l’imagerie fasciste, ou si les formes mêmes de la propagande nazie ont stimulé son imaginaire, peut-être même excité l’artiste qu’il était. Mais reste que cette affiche a toutes les caractéristiques, ethniques, racistes, sexistes, communautaires, qui feront le succès inouï, affreux, de la propagande nazie - et qui attirera, de fait, de nombreux homosexuels dans les rangs des SA naissants. Cette affiche est troublante. Elle ne cesse de laisser croire à la diffusion rapide des idéaux fascistes, qu’on voudra nier par la suite, pour ne les concentrer vraiment qu’en Italie et qu’en Allemagne, à peine en Espagne. C’est une mauvaise blague - un terrible mensonge - que de penser de la sorte.


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